Emmanuel François

 

Emmanuel François nait en 1784 à Virton, dans l’actuelle province du Luxembourg. Il suit une formation de droit qui lui permet de devenir juriste et d’exercer la fonction d’avocat jusqu’en 1830.

En 1830, il est élu, à l’âge de quarante-six ans, au Congrès National pour y représenter le district de Neufchâteau. Lors des réunions, il intervient trente et une fois sur différents sujets, en particulier lors des débats sur le sort de la maison d’Orange, de la Province du Luxembourg ainsi que du protocole du 20 janvier 1831 qui remet le Luxembourg et le Limbourg aux Pays-Bas. On peut également citer ses opinions sur les droits (notamment la liberté de la presse) et la Constitution. Ses interventions le dépeignent donc comme un libéral, anti-hollandais et pro-Luxembourg.

En mai 1831, un mois après la démission d’Isidore Plaisant, administrateur de la Sûreté de 1830 à 1831, François est désigné pour lui succéder à la tête de l’administration.

Peu et mal entouré, il s’efforce de remettre la Sûreté sur pieds. À cette époque, l’administration se compose uniquement de deux commis, de deux expéditionnaires et d’un huissier.

Au début de sa carrière, l’administrateur dénonce les tumultes de la Révolution qui persistent (ex : pillages de Bruxelles, 1834) pour pointer du doigt l’incapacité des polices locales (principalement de Bruxelles) à maintenir l’ordre public. Il n’hésite pas à émettre des doutes quant au patriotisme de plusieurs commissaires qu’il soupçonne de soutenir le Roi hollandais. Il propose alors au gouvernement belge la création d’un « directeur de la Sûreté publique » dont les pouvoirs réuniraient ceux de la police politique, judiciaire et administrative. Ce directeur, que ses pouvoirs élèveraient au rang de ministre, pourrait correspondre avec tous les fonctionnaires publics ainsi qu’édicter des ordonnances pour l’application des lois. De plus, il souhaite que ce directeur soit investi de la charge de préfet au sein de la ville de Bruxelles et qu’il puisse désigner lui-même les commissaires qui lui seraient loyaux. Ce projet colossal ne suscite pas l’adhésion au sein du gouvernement qui voit dans de tels pouvoirs un danger pour un pays qui se base sur la séparation des pouvoirs et dont les communes sont attachées à leurs franchises.

Pendant les huit années de son mandat d’administrateur, Emmanuel François s’adonne à la surveillance des étrangers ; mais sa politique lui attire de vives critiques.

Tout d’abord, l’administrateur est taxé de cécité vis-à-vis des pillages d’avril 1834 à Bruxelles ; on lui reproche de n’avoir pas su prévoir les troubles dans la capitale. Plusieurs parlementaires invectivent l’administrateur qui est accusé d’inventer des conspirations pour augmenter son pouvoir et jeter son dévolu sur les républicains, les saint-simoniens et les secrets de familles.

Deux affaires entachent la fin de son mandat :

  • Le 1er juillet 1838, L’Indépendant belge rapporte des événements relatés par le Journal de Liège. Un ex-huissier prussien de soixante ans, François Schaefen, est reconduit à la frontière sur ordre de l’administrateur François en vertu de la loi des passeports. Quelques jours plus tard, le 10 juillet, le même journal explique que les gendarmes chargés de l’arrestation sont inculpés pour avoir commis, à la suite de faits de corruption, des actes arbitraires portant atteinte à la liberté individuelle. C’est le ministre de la Justice lui-même qui ordonne des poursuites contre eux. Dans leur défense, les accusés soutiennent que « l’expulsion leur avait été ordonnée par leur chef immédiat, lequel avait reçu l’ordre de son commandant et celui-ci de l’administrateur ». Ce système a été accueilli par le jury et les prévenus acquittés.
  • « L’affaire Souillard » au mois d’octobre 1838. En octobre 1838, L’Observateur rapporte l’histoire d’un étranger du nom de Chirett, dit Souillard, venu en Belgique avec des papiers en règles et séjournant à Bruxelles. Ce dernier reçoit la visite de deux agents de la Sûreté qui, au nom de l’administrateur, lui demandent de les suivre. Chirett refuse. Le lendemain, les agents reviennent et, face à l’absence de Souillard, emmènent sa femme âgée de dix-huit ans et enceinte. Une personne qui a visité la jeune femme en prison informe alors le journal pour rapporter les conditions de son traitement. L’Observateur se dit choqué du traitement subi par Mme Chirett qui refuse de dénoncer son mari. Le journal accuse Emmanuel François d’avoir violé la loi et outragé la morale publique. Par la suite, le Moniteur offre une autre version des faits, disculpant l’administrateur.

Au cours de son mandat d’administrateur, Emmanuel François entretient des rapports compliqués avec ceux qui l’entourent et cultive une opinion assez défavorable à son sujet. Le cas Souillard illustre le regard désapprobateur de la presse à son égard, qui juge ses actions violentes et choquantes.

Au niveau des politiques et du gouvernement, François est perçu d’un mauvais œil. La Chambre dénonce ses « tracasseries » à l’encontre des étrangers et remet en doute le pouvoir d’exclusion de l’administrateur. De plus, les représentants de Brouckère, Gendebien et Robaulx l’accusent « d’espionnite » et lui reproche de vouloir pénétrer l’intimité de personnalités inoffensives. Gendebien, député à la Chambre des Représentants, reproche à l’administrateur ses penchants « conspirationnistes » : « Chaque fois que Mr François a peur, il invente des conspirations, et Mr. François a toujours peur ».

Notons, par ailleurs, qu’il fait partie des 1031 personnes proposées pour obtenir la croix de fer par la commission des récompenses honorifiques et qu’il l’a reçoit effectivement.

Après huit années passées à la tête de l’administration de la Sûreté publique, Emmanuel François est remplacé, par arrêté royal du 5 janvier 1839, par Alexis Hody, procureur du Roi de Bruxelles. Il occupe, jusqu’au 1er février de la même année, le poste de commissaire de l’arrondissement de Neufchâteau, puis remplace Simony à la « recette de la Sambre » (gestion financière). Il décède le 11 janvier 1840 dans une maison de santé de Liège.

 

Sources: 

  • Carl BEYAERT, Biographies des membres du Congrès national, Bruxelles, Librairie nationale d'art et d'histoire, 1930. (https://unionisme.be/cnFrancois.htm)
  • Nicolas COUPAIN, « L’expulsion des étrangers en Belgique (1830 et 1914) », dans Belgisch Tijdschrift voor Nieuwste Geschiedenis, 2003, p.5-48.
  • Luc KEUNINGS, Les forces de l'ordre à Bruxelles au XIXe siècle : données biographiques illustrées sur les officiers de la police, de la garde civique et de la gendarmerie (1830-1914), Bruxelles, Archives de la ville de Bruxelles, 2007.
  • Luc KEUNINGS, Les relations entre l'administration de la sûreté publique et la police de Bruxelles (1830-1839). Contribution à l'histoire du maintien de l'ordre à Bruxelles, Actes du colloque des cercles archéologiques de Nivelles, t. III, Nivelles, 1986, p. 43-54.
  • Nous avons également beaucoup consulté la presse de l’époque (L’Observateur, L’Indépendant belge, Le Moniteur, etc.…)

Louis Gelinne

 

Notice rédigée dans le cadre du Séminaire d'histoire de la période contemporaine de l'Université catholique de Louvain (LHIST2280, professeur Emmanuel Debruyne). 

 

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