Panorama des archives de la Sûreté de l’Etat

 

Histoire de l’institution

La création de l’État belge en 1830 est accompagnée par la mise en place d’un service de renseignement civil : la Sûreté publique. Celle-ci dépend directement du Ministère de la Justice, mais sera à plusieurs reprises l’objet de transferts entre ce Ministère, celui de l’Intérieur et de la Défense. Dès ses débuts, la Sûreté a pour mission de veiller à la sécurité intérieure et s’assure ainsi de la surveillance des associations suspectes, des industries et des étrangers[1]. Elle s’occupe également des prisons et de la délivrance de passeports[2]. Son organisation et ses missions vont suivre l’évolution du pays et dépendront du contexte sociopolitique.

Les Orangistes constituent le premier mouvement perturbateur qui retient l’attention de la Sûreté publique jusqu’en 1840. Après que le calme soit rétabli avec les Pays-Bas, ce sont les réfugiés français qui affluent sur le territoire belge. En 1848, les mouvements républicains sont susceptibles de menacer l’ordre public et de mener à une révolution. Les années 1870 avec notamment la guerre franco-prussienne, amènent un renforcement de l’appareil répressif. Par ailleurs, les mouvements anarchistes et socialistes constituent une grande préoccupation à la fin du 19e jusqu’à l’aube de la Première Guerre mondiale. Des étrangers mais également des Belges sont surveillés comme le flamand Jacob Kats, pionnier du socialisme en Belgique. La Sûreté publique collabore alors étroitement au niveau national avec les polices communales des différentes provinces belges, mais aussi avec d’autres services de renseignements de pays étrangers tels que la France, la Grande-Bretagne et la Russie[3].

La Première Guerre mondiale est une période caractérisée par l’absence d’informations en ce qui concerne les activités de la Sûreté. Après la guerre, elle porte son attention aux Belges qui ont travaillé avec l’ennemi et aux soldats étrangers qui ont été arrêtés. Dès les années 1920, elle échange des informations sur les communistes avec les services français, britanniques et allemands. Ce partage de renseignements avec l’Allemagne est d’application jusqu’en 1937. En mars 1940, la Sûreté publique est réorganisée en Sûreté de l’État, qui dépend du Ministère de la Défense. Lors de l’invasion allemande en mai 1940, le Ministère de la Justice et de la Défense ordonne à la Sûreté d’incendier les archives. Par contre, les dossiers de la Police des étrangers sont remis à l’occupant. Ceci explique pourquoi il reste peu d’archives datant de l’entre-deux-guerres. Lorsque le gouvernement belge part à Londres dès le début de l’Occupation, une Sûreté de l’État est spécialement créée. En Belgique, il subsiste uniquement le service de la Police des étrangers qui est soumis aux Allemands. À la fin de la guerre, la Sûreté publique se réorganise à nouveau et doit à ce moment-là s’occuper des inciviques. Par la suite, la fin des années quarante marque le début de la Guerre froide avec une nouvelle lutte à l’encontre des communistes[4].

La direction de ce service de renseignement est assurée par un administrateur général. Ce sont succédé à cette fonction :

 

Isidore Plaisant (1830-1831) Robert de Foy (1933-1940 et 1947 à 1958) 
Alexis Hody (1833-1840) Fernand Lepage (1940-1944) 
Alexis Hody (1840-1852) Paul Bihin (1945-1947)
Joseph Verheyen (1852-1869) Ludovic Caeymaex (1958-1977)
Victor Berden (1869-1882) Albert Raes (1977-1990)
Adolphe Gauthier de Rasse (1882-1890) Stéphane Schewebach (1990-1993)
François de Latour (1890-1903)  Bart Van Lijsebeth (1994-1999) 
Jean de Rode (1903-1906)  Godelieve Timmermans (2000-2002) 
Louis Gonne (1906-1917) Koenraad Dassen (2002-2005)
Alfred Rémy (1927-1929) Alain Winants (2006-2014) 
René Beltjens (1929-1933)  Jaak Raes (2014-)

 

 

État des archives

Une partie des archives de la Sûreté a été versée aux Archives générales du Royaume (AGR). Il s’agit plus particulièrement des archives du service de la Police des étrangers. Ce fonds est composé de dossiers généraux et de dossiers individuels. D’une part, les dossiers généraux sont divisés en deux versements : le premier couvrant la période 1830 à 1914 et le deuxième, la période 1918 à 1960. On retrouve également quelques archives datant du régime français (1794-1814/15) et hollandais (1814/15-1830)[6]. Malgré une certaine épuration dans les dossiers, ces documents permettent d’observer le fonctionnement du service et sa politique générale par rapport aux différentes crises parcourant l’histoire de Belgique. D’autre part, les AGR conservent des dossiers individuels relatifs aux étrangers qui se sont rendus en Belgique de 1835 à 1943. De nombreux dossiers du 19e siècle ont été détruits, mais le fonds est pratiquement complet à partir de 1889. Il faut noter que certains dossiers plus récents et contenant des données à caractère personnel sont consultables après avoir déclaré ses motivations de recherche et obtenu l’accord de l’archiviste. Ces dossiers individuels permettent de connaître diverses informations personnelles sur l’étranger et aussi de voir les éléments qui retenaient l’attention de la Police des étrangers. Par ailleurs, les dossiers individuels postérieurs à 1943 sont conservés à l’Office des étrangers et ne sont consultables qu’en fournissant une preuve de lien de parenté avec la personne recherchée[6].

Des dossiers de la Sûreté sont consultables au Centre d’Études et de documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGESOMA). Ces archives concernent essentiellement la période de la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement les activités de la Sûreté de l’État à Londres et des Services de Renseignement et d’Action[7]. Le premier ensemble est constitué de 413 dossiers sur l’activité générale de la Sûreté à Londres et sur des réseaux sur le terrain. Le second comprend 50 000 dossiers personnels sur chaque agent de réseau[8]. Les dossiers sont consultables après avoir obtenu l’autorisation de Mr Robin Libert[9].

Outre ces fonds, d’autres archives de la Sûreté peuvent être retrouvées dans la correspondance de plusieurs institutions. C’est le cas pour les rapports entre l’administrateur général et l’État-major qui sont observés dans les archives de la gendarmerie, conservées au Centre de documentation de la Police Fédérale (CDC) et au Centre historique de la Police Fédérale[10]. Les « Notes » et « Ordres » du corps fournissent des informations concernant par exemple les missions de surveillance confiée par l’administrateur à la police, particulièrement pour la période de 1919 à 1950. De plus, des archives du commissariat général de la police judiciaire près les parquets datant de 1930 à 1950 sont disponibles aux Archives de l’Etat (AE) à Anderlecht. Cette documentation a trait à la collaboration entre les deux services comme la réquisition d’agents de la police judiciaire par la Sûreté, la poursuite des inciviques et la récupération de fichiers judiciaires de la Sûreté par la police. Aux Archives de l’État à Bruxelles, les dossiers conservés par la police communale renseignement également sur les rapports entre la police et la Sûreté, notamment au niveau de la surveillance des socialistes et anarchistes au XIXe siècle. Par ailleurs, les archives judiciaires comprennent aussi des documents produits par la Sûreté publique. C’est le cas des parquets généraux, d’arrondissements, les Cours et Tribunaux, mais aussi les juridictions militaires. Enfin, les archives du Ministère des Affaires étrangères possèdent d’une part des dossiers sur la Sûreté congolaise contenus dans les archives africaines[11]. Et d’autre part, les archives diplomatiques dans lesquelles sont présents quelques dossiers relatifs la Sûreté pendant le XXe siècle. Des autres archives peuvent également être trouvées dans la correspondance entre la Sûreté et le Ministre des Affaires étrangères, mais ils sont bien souvent découverts en effectuant une recherche grâce à une thématique, par exemple la surveillance des communistes.

Concernant la période de la répression de la collaboration d’après-guerre, il existe des dossiers constitués par l’Auditorat général. On retrouve des dossiers personnels formés pour l’épuration administrative comme celui de l’administrateur Robert de Foy, conservé aux AGR dépôt Joseph Cuvelier[12]. Par ailleurs, un index de l’Auditorat reprend toutes les personnes poursuivies et condamnées pour « crimes et délits contre la Sûreté de l’État »[13].

La Sûreté de l’État conserve elle aussi des archives, mais qui sont malheureusement difficilement accessibles pour les chercheurs[14]. L’institution possède deux séries de documents : des dossiers individuels et des dossiers de documentation. Le nombre de dossiers individuels est de plus de 570 000 dont 400 000 sont sur support papier, les autres étant sur microfilms ou microfiches[15].

Nous avons fait une description des principaux fonds dans lesquels se retrouvent les archives produites par la Sûreté publique. Mais lors d’une étude sur les activités de la Sûreté ou sur les acteurs de ce service, d’autres sources sont envisageables. Citons quelques exemples comme les papiers privés, les archives d’administrations communales, archives des provinces, la presse, les interviews, etc. Ces sources peuvent donc combler les lacunes des archives produites par la Sûreté qui sont causées par des incendies, l’épuration ou l’inaccessibilité de certains dossiers.

 

Références pour la recherche

  • Archiven van de Hoog Commissariaat voor’s Lands Veiligheid-Archives du Haut commissariat à la Sûreté de l’Etat, Bruxelles, CEGESOMA, s.d., n°AA 1311.
  • « Les archives de la Sûreté de l’Etat », dans Sureté de l’Etat, Rapport annuel 2011, Bruxelles, 2012, p. 105-107.
  • Archives générales du Royaume, Les dossiers individuels des étrangers produits par la Sûreté publique (Police des étrangers), 1835-1943, Jalons de recherche n°19.
  • Archives de la Ville de Bruxelles, Inventaire de la Police, n°24/1 à 24/5, Bruxelles, AE, s.d.
  • Boone et Depoortere R., Ministère de la Justice. Service de la police des étrangers. Inventaire des microfilms du fichier des dossiers individuels, Bruxelles, 1996 (Instrument de recherche à tirage limité- Archives générales du Royaume 413).
  • Cosemans, Inventaire des archives du parquet général de Bruxelles. Versement de 1945 (An III-1922), Bruxelles, AE, 1995.
  • Debruyne E., La Maison de verre, agents et réseaux de renseignement en Belgique occupée. 1940-1944, Louvain-La-Neuve, 2005-2006.
  • Depoortere R., Inventaire des archives du Commissariat général de la police judiciaire : dossiers du service de la Documentation. Versement 2000, Bruxelles, AGR, 2001.
  • Libert R., « De geschiedenis van 175 jaar veiligheid van de staat », dans Cools M. (e.a.), La Sûreté. Essais sur les 175 ans de la Sûreté de l’Etat, Bruxelles, Politeia, 2005, p. 23-48.
  • « Archieven van de ‘Veiligheid van de Staat’ in depot », dans Cahier du BISC, n°9, p. 203-212.
  • Linotte, Les manifestations et les grèves dans la province de Liège de 1831 à 1914 : inventaire sommaire des archives de la Sûreté publique de la province de Liège, Louvain, Nauwelaerts, 1964.
  • Plisnier, Inventaire des archives du Ministère de la justice, administration de la sûreté publique, police des étrangers, dossiers généraux, deuxième versement (1930-1960), Bruxelles, AGR, 2008.
  • Rousseaux X. et Somer D., « Pour une histoire de la Sûreté de l’Etat en Belgique. Essai autour des 175 années de pénombre », dans Cools M. (e.a.), op.cit., p. 49-74.
  • Vervaeck, Inventaire des archives du Ministère de la justice, administration de la sûreté publique, police des étrangers, dossiers généraux, (Régime français-1914), Bruxelles, AGR, 1968.

 

[1] La Police des étrangers est un service dépendant directement de la Sûreté publique.

[2] Libert R., « De geschiedenis van 175 jaar veiligheid van de staat », dans Cools M. (e.a.), La Sûreté. Essais sur les 175 ans de la Sûreté de l’Etat, Bruxelles, Politeia, 2005, p. 26.

[3] Rousseaux X. et Somer D., « Pour une histoire de la Sûreté de l’Etat en Belgique. Essai autour des 175 années de pénombre », dans Cools M. (e.a.), op.cit., p. 53, 54.

[4] Ibid., p. 54-57 ; Debruyne E., La Maison de verre, agents et réseaux de renseignement en Belgique occupée. 1940-1944, Louvain-La-Neuve, 2005-2006, p.108-109; Van Doorslaer R. (dir.), Debruyne E. (e.a), La Belgique docile : les autorités belges et la persécution des Juifs en Belgique durant la Seconde Guerre mondiale, Bruxelles, Pire, 2007, p. 349.

[5] Libert R., « Archieven van de ‘Veiligheid van de Staat’ in depot », dans Cahier du BISC, n°9, p. 204. Cependant les archives datant du régime français et hollandais ne sont pas nombreuses et il s’agit en majorité de règlements communaux.

[6] Archives générales du Royaume, Les dossiers individuels des étrangers produits par la Sûreté publique (Police des étrangers), 1835-1943, Jalons de recherche n°19.

[7]« Les archives de la Sûreté de l’Etat », dans Sureté de l’Etat, Rapport annuel 2011, Bruxelles, 2012, p. 106.

[8] Debruyne E., op.cit., p.23-25.

[9] Demande écrite par mail via Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

[10] Notons que les archives ne sont plus consultables pour cause de travaux. Une majorité des archives sera transférée aux AGR dans le courant de 2019.

[11] Rousseaux X. et Somer D., op.cit., p. 61-66

[12] AGR, Archives de l’auditorat militaire, Dossier Robert de Foy, n°6392/45.

[13] « Les archives de la Sûreté de l’Etat », dans Sureté de l’Etat, op.cit., p. 106.

[14] S’adresser par mail également à Mr Robin Libert.

[15] « Les archives de la Sûreté de l’Etat », dans op.cit.

 

Page réalisée par Marie Bouvry dans le cadre d’un stage en communication de l’histoire (UCL, 2e master en histoire).