Le centre d’internement pour inciviques de Verviers (septembre 1944 – novembre 1945)

 

Introduction

En 1944, la libération des territoires belges par les alliés laisse place à la répression des collaborations prévue par le gouvernement en exil à Londres. La circulaire n°340 du ministre de la Justice Delfosse reprend l’arrêté-loi du 12 octobre 1918 prévoyant d’interner tout sujet belge rendu suspect par ses relations avec l’ennemi, ainsi que les étrangers. Cette circulaire engendre l’arrestation en masse d’individus suspectés de collaboration avec l’ennemi dans des conditions souvent nébuleuses. L’internement relève des compétences des bourgmestres qui doivent procéder aux arrestations et prévoir l’ouverture de centres dans les meilleures conditions possibles. Durant les premiers mois de la libération, 170 centres d’internement ouvrent sur le territoire belge. Les estimations sur le nombre d’internés en Belgique varient, cependant les chercheurs s’accordent sur le chiffre de 70 000 individus.

Le centre d’internement de Verviers ouvre le 22 septembre 1944, soit deux semaines après la libération de la ville par les Américains. Le centre s’installe dans une aile de l’école primaire de la chaussée de Heusy, en face de la prison de Verviers et dépend de cette dernière comme annexe. Durant la bataille des Ardennes, les internés sont déplacés à Alost de janvier à mars 1945. De retour à Verviers, à partir d’octobre et jusqu’à fin novembre, ils sont transférés vers la prison, dans la perspective de fermeture du centre.

On retrouve également un autre type de centre qui sert pour le tri des réfugiés à Verviers : le centre de displaced person de l’Institut Saint-Claire. Ce dernier est ouvert par les Américains pour gérer l’afflux des réfugiés venus du Reich parmi lesquels se trouvent des suspects de collaboration.

 

1. Population

Les registres d’écrou comptabilisent 4 206 internés à Verviers dont 16% de femmes. Le centre comprend majoritairement des travailleurs dans la manufacture, la construction et l’extraction de matières premières. On retrouve beaucoup d’ouvriers des mines. Viennent ensuite les métiers en lien avec l’agriculture. Les autres catégories socio-professionnelles sont représentées dans des proportions équivalentes avec une part légèrement plus importante pour le secteur du secrétariat. Sur le plan de l’âge, on retrouve majoritairement des jeunes de 21 à 25 ans ainsi que des personnes de 36 à 40 ans. Les proportions moindres pour les catégories entre 25 et 36, plus particulièrement pour les 26-30 ans, s’expliquent par le phénomène de classe creuse liée à la Première Guerre mondiale. Environ la moitié des internés du centre de Verviers proviennent de la région des cantons de l’Est (Eupen-Malmedy-Saint-Vith) et ils représentent 73% des internés libérés.

Le profil type d’un interné est celui d’un jeune agriculteur, entre 20 et 25 ans et provenant des cantons de l’Est, qui est interné, pour environ un mois, à Verviers suite à son passage à l’Institut Sainte-Claire pour port d’arme contre la Belgique.

 

2. Parcours d’un interné

Concrètement, un mandat d’arrêt est émis afin d’interner l’individu suspecté de collaboration. Les chefs d’inculpation les plus courants sont : relations entretenues avec l’ennemi et port d’armes contre la Belgique. La nationalité étrangère, la provenance des cantons de l’Est ou l’inculpation de collaboration économique ou politique sont plus rares.

A son arrivée dans le centre, un dossier est ouvert dans lequel on retrouve les informations générales tels le nom, prénom, date et lieu de naissance, la date d’entrée, le chef d’inculpation, une fiche médicale, un recensement des objets personnels… Ce dossier est utilisé par l’Auditorat Militaire ou les Commissions Consultatives qui vont décider de la libération ou non de l’interné après une enquête.

Suite à une analyse de son dossier, l’interné peut être transféré, dans 45 % des cas à Verviers, ou libéré (53%). Sur les 4 206 internés de Verviers, 6 individus décèdent au centre. On trouve également des sorties pour hospitalisation, évasion ou rapatriement.

Il existe plusieurs procédures de libération. La première est dirigée par l’Auditorat Militaire qui délivre un réquisitoire de mise en liberté provisoire qui permet à l’interné d’être libre mais assure également son réinternement futur si de nouvelles preuve à charge apparaissent. Ensuite, les Commissions Consultatives peuvent délivrer le même type de documents. Ces libérations peuvent être accompagnées d’une assignation à résidence qui permet la mise en place d’une surveillance de l’individu. Dans 1% des cas, c’est la Police des Etrangers qui ordonne la libération d’un interné étranger. Finalement, la libération sur ordre ministériel, qui est également plus rare (1%), permet une libération immédiate sans justificatif. C’est clairement un traitement de faveur accordé à certains internés.

 

3. Vie quotidienne et gestion du centre d’après les archives administratives pénitentiaires

De manière générale, le centre d’internement de Verviers est bien géré. On retrouve quelques problèmes d’approvisionnement qui sont liés à la situation chaotique du pays et plus particulièrement à la bataille des Ardennes qui frappe la région.

Cette bonne gestion est liée à plusieurs facteurs. Principalement car le centre dépend de la prison de Verviers pour sa gestion. L’institution étant plus ancienne, elle bénéficie d’un personnel et d’une administration globale plus expérimentés. Les internés, même ceux qui se trouvent dans l’annexe qui est une école, peuvent profiter de l’infrastructure en termes d’hygiène. Ainsi, les internés peuvent prendre un bain une fois par mois, ce qui peut sembler peu mais dans le contexte de la libération est un luxe.

L’approvisionnement est difficile mais les colis sont autorisés et la préparation des repas des internés est entièrement prise en charge par l’association L’œuvre de la bouchée de pain. Les soins médicaux sont prodigués par le médecin de la prison de Verviers et des infirmières de la Croix-Rouge sont appelées en renfort pour venir en aide aux médecins dans les contrôles journaliers des malades.

Nous avons pu constater plusieurs cas d’évasion qui sont dus à un manque d’expérience de la part des surveillants, mais aussi à un concours de circonstances. Cependant, cela reste des cas isolés. Il existe quelques rapports disciplinaires pour certains internés. Ces notes n’ont pas de réels impacts dans le traitement des dossiers dès lors qu’il n’y a aucun comportement à caractère politique.

Il est cependant important de souligner que nos archives ne nous permettent pas de creuser suffisamment la question du point de vue des internés. Les rapports que nous avons étudiés ont majoritairement intérêt à relater une bonne gestion sauf dans certaines exceptions où il vaut mieux dramatiser les conditions afin de recevoir plus d’argent.

 

Conclusion

Chaque dossier d’écrou est un parcours personnel particulier à travers la mesure administrative d’internement qui est bien plus large que le centre d’internement de Verviers. Il nous est possible de conclure par une appréciation positive du centre par rapport au contexte de son existence. Cependant, il est important de souligner que la vision développée ci-dessus est réalisée à partir de multiples archives mais ces dernières restent limitées. Pour approfondir ce sujet, il faudrait donner la parole aux internés et à leur propre expérience de l’internement.

 

Margaux Roberti-Lintermans

D’après le mémoire : ROBERTI-LINTERMANS M., Le centre d’internement pour inciviques de Verviers (septembre 1944 – novembre 1945). Contribution à la répression des collaborations dans les cantons de l’Est, promoteur : X. Rousseaux, UCL, 2015.

FacebookTwitterGoogle BookmarksLinkedinPinterest

Site réalisé par Françoise Muller

sous la direction de Xavier Rousseaux

avec le soutien du FRS-FNRS

Prix Wernaers 2016 LogoWernaers