Panorama des archives de la Sûreté de l’Etat

 

Histoire de l’institution

La création de l’État belge en 1830 est accompagnée par la mise en place d’un service de renseignement civil : la Sûreté publique. Celle-ci dépend directement du Ministère de la Justice, mais sera à plusieurs reprises l’objet de transferts entre ce Ministère, celui de l’Intérieur et de la Défense. Dès ses débuts, la Sûreté a pour mission de veiller à la sécurité intérieure et s’assure ainsi de la surveillance des associations suspectes, des industries et des étrangers[1]. Elle s’occupe également des prisons et de la délivrance de passeports[2]. Son organisation et ses missions vont suivre l’évolution du pays et dépendront du contexte sociopolitique.

Les Orangistes constituent le premier mouvement perturbateur qui retient l’attention de la Sûreté publique jusqu’en 1840. Après que le calme soit rétabli avec les Pays-Bas, ce sont les réfugiés français qui affluent sur le territoire belge. En 1848, les mouvements républicains sont susceptibles de menacer l’ordre public et de mener à une révolution. Les années 1870 avec notamment la guerre franco-prussienne, amènent un renforcement de l’appareil répressif. Par ailleurs, les mouvements anarchistes et socialistes constituent une grande préoccupation à la fin du 19e jusqu’à l’aube de la Première Guerre mondiale. Des étrangers mais également des Belges sont surveillés comme le flamand Jacob Kats, pionnier du socialisme en Belgique. La Sûreté publique collabore alors étroitement au niveau national avec les polices communales des différentes provinces belges, mais aussi avec d’autres services de renseignements de pays étrangers tels que la France, la Grande-Bretagne et la Russie[3].

La Première Guerre mondiale est une période caractérisée par l’absence d’informations en ce qui concerne les activités de la Sûreté. Après la guerre, elle porte son attention aux Belges qui ont travaillé avec l’ennemi et aux soldats étrangers qui ont été arrêtés. Dès les années 1920, elle échange des informations sur les communistes avec les services français, britanniques et allemands. Ce partage de renseignements avec l’Allemagne est d’application jusqu’en 1937. En mars 1940, la Sûreté publique est réorganisée en Sûreté de l’État, qui dépend du Ministère de la Défense. Lors de l’invasion allemande en mai 1940, le Ministère de la Justice et de la Défense ordonne à la Sûreté d’incendier les archives. Par contre, les dossiers de la Police des étrangers sont remis à l’occupant. Ceci explique pourquoi il reste peu d’archives datant de l’entre-deux-guerres. Lorsque le gouvernement belge part à Londres dès le début de l’Occupation, une Sûreté de l’État est spécialement créée. En Belgique, il subsiste uniquement le service de la Police des étrangers qui est soumis aux Allemands. À la fin de la guerre, la Sûreté publique se réorganise à nouveau et doit à ce moment-là s’occuper des inciviques. Par la suite, la fin des années quarante marque le début de la Guerre froide avec une nouvelle lutte à l’encontre des communistes[4].

La direction de ce service de renseignement est assurée par un administrateur général. Ce sont succédé à cette fonction :

 

Isidore Plaisant (1830-1831) Robert de Foy (1933-1940 et 1947 à 1958) 
Alexis Hody (1833-1840) Fernand Lepage (1940-1944) 
Alexis Hody (1840-1852) Paul Bihin (1945-1947)
Joseph Verheyen (1852-1869) Ludovic Caeymaex (1958-1977)
Victor Berden (1869-1882) Albert Raes (1977-1990)
Adolphe Gauthier de Rasse (1882-1890) Stéphane Schewebach (1990-1993)
François de Latour (1890-1903)  Bart Van Lijsebeth (1994-1999) 
Jean de Rode (1903-1906)  Godelieve Timmermans (2000-2002) 
Louis Gonne (1906-1917) Koenraad Dassen (2002-2005)
Alfred Rémy (1927-1929) Alain Winants (2006-2014) 
René Beltjens (1929-1933)  Jaak Raes (2014-)

 

 

État des archives

Une partie des archives de la Sûreté a été versée aux Archives générales du Royaume (AGR). Il s’agit plus particulièrement des archives du service de la Police des étrangers. Ce fonds est composé de dossiers généraux et de dossiers individuels. D’une part, les dossiers généraux sont divisés en deux versements : le premier couvrant la période 1830 à 1914 et le deuxième, la période 1918 à 1960. On retrouve également quelques archives datant du régime français (1794-1814/15) et hollandais (1814/15-1830)[6]. Malgré une certaine épuration dans les dossiers, ces documents permettent d’observer le fonctionnement du service et sa politique générale par rapport aux différentes crises parcourant l’histoire de Belgique. D’autre part, les AGR conservent des dossiers individuels relatifs aux étrangers qui se sont rendus en Belgique de 1835 à 1943. De nombreux dossiers du 19e siècle ont été détruits, mais le fonds est pratiquement complet à partir de 1889. Il faut noter que certains dossiers plus récents et contenant des données à caractère personnel sont consultables après avoir déclaré ses motivations de recherche et obtenu l’accord de l’archiviste. Ces dossiers individuels permettent de connaître diverses informations personnelles sur l’étranger et aussi de voir les éléments qui retenaient l’attention de la Police des étrangers. Par ailleurs, les dossiers individuels postérieurs à 1943 sont conservés à l’Office des étrangers et ne sont consultables qu’en fournissant une preuve de lien de parenté avec la personne recherchée[6].

Des dossiers de la Sûreté sont consultables au Centre d’Études et de documentation Guerre et Sociétés contemporaines (CEGESOMA). Ces archives concernent essentiellement la période de la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement les activités de la Sûreté de l’État à Londres et des Services de Renseignement et d’Action[7]. Le premier ensemble est constitué de 413 dossiers sur l’activité générale de la Sûreté à Londres et sur des réseaux sur le terrain. Le second comprend 50 000 dossiers personnels sur chaque agent de réseau[8]. Les dossiers sont consultables après avoir obtenu l’autorisation de Mr Robin Libert[9].

Outre ces fonds, d’autres archives de la Sûreté peuvent être retrouvées dans la correspondance de plusieurs institutions. C’est le cas pour les rapports entre l’administrateur général et l’État-major qui sont observés dans les archives de la gendarmerie, conservées au Centre de documentation de la Police Fédérale (CDC) et au Centre historique de la Police Fédérale[10]. Les « Notes » et « Ordres » du corps fournissent des informations concernant par exemple les missions de surveillance confiée par l’administrateur à la police, particulièrement pour la période de 1919 à 1950. De plus, des archives du commissariat général de la police judiciaire près les parquets datant de 1930 à 1950 sont disponibles aux Archives de l’Etat (AE) à Anderlecht. Cette documentation a trait à la collaboration entre les deux services comme la réquisition d’agents de la police judiciaire par la Sûreté, la poursuite des inciviques et la récupération de fichiers judiciaires de la Sûreté par la police. Aux Archives de l’État à Bruxelles, les dossiers conservés par la police communale renseignement également sur les rapports entre la police et la Sûreté, notamment au niveau de la surveillance des socialistes et anarchistes au XIXe siècle. Par ailleurs, les archives judiciaires comprennent aussi des documents produits par la Sûreté publique. C’est le cas des parquets généraux, d’arrondissements, les Cours et Tribunaux, mais aussi les juridictions militaires. Enfin, les archives du Ministère des Affaires étrangères possèdent d’une part des dossiers sur la Sûreté congolaise contenus dans les archives africaines[11]. Et d’autre part, les archives diplomatiques dans lesquelles sont présents quelques dossiers relatifs la Sûreté pendant le XXe siècle. Des autres archives peuvent également être trouvées dans la correspondance entre la Sûreté et le Ministre des Affaires étrangères, mais ils sont bien souvent découverts en effectuant une recherche grâce à une thématique, par exemple la surveillance des communistes.

Concernant la période de la répression de la collaboration d’après-guerre, il existe des dossiers constitués par l’Auditorat général. On retrouve des dossiers personnels formés pour l’épuration administrative comme celui de l’administrateur Robert de Foy, conservé aux AGR dépôt Joseph Cuvelier[12]. Par ailleurs, un index de l’Auditorat reprend toutes les personnes poursuivies et condamnées pour « crimes et délits contre la Sûreté de l’État »[13].

La Sûreté de l’État conserve elle aussi des archives, mais qui sont malheureusement difficilement accessibles pour les chercheurs[14]. L’institution possède deux séries de documents : des dossiers individuels et des dossiers de documentation. Le nombre de dossiers individuels est de plus de 570 000 dont 400 000 sont sur support papier, les autres étant sur microfilms ou microfiches[15].

Nous avons fait une description des principaux fonds dans lesquels se retrouvent les archives produites par la Sûreté publique. Mais lors d’une étude sur les activités de la Sûreté ou sur les acteurs de ce service, d’autres sources sont envisageables. Citons quelques exemples comme les papiers privés, les archives d’administrations communales, archives des provinces, la presse, les interviews, etc. Ces sources peuvent donc combler les lacunes des archives produites par la Sûreté qui sont causées par des incendies, l’épuration ou l’inaccessibilité de certains dossiers.

 

Références pour la recherche

  • Archiven van de Hoog Commissariaat voor’s Lands Veiligheid-Archives du Haut commissariat à la Sûreté de l’Etat, Bruxelles, CEGESOMA, s.d., n°AA 1311.
  • « Les archives de la Sûreté de l’Etat », dans Sureté de l’Etat, Rapport annuel 2011, Bruxelles, 2012, p. 105-107.
  • Archives générales du Royaume, Les dossiers individuels des étrangers produits par la Sûreté publique (Police des étrangers), 1835-1943, Jalons de recherche n°19.
  • Archives de la Ville de Bruxelles, Inventaire de la Police, n°24/1 à 24/5, Bruxelles, AE, s.d.
  • Boone et Depoortere R., Ministère de la Justice. Service de la police des étrangers. Inventaire des microfilms du fichier des dossiers individuels, Bruxelles, 1996 (Instrument de recherche à tirage limité- Archives générales du Royaume 413).
  • Cosemans, Inventaire des archives du parquet général de Bruxelles. Versement de 1945 (An III-1922), Bruxelles, AE, 1995.
  • Debruyne E., La Maison de verre, agents et réseaux de renseignement en Belgique occupée. 1940-1944, Louvain-La-Neuve, 2005-2006.
  • Depoortere R., Inventaire des archives du Commissariat général de la police judiciaire : dossiers du service de la Documentation. Versement 2000, Bruxelles, AGR, 2001.
  • Libert R., « De geschiedenis van 175 jaar veiligheid van de staat », dans Cools M. (e.a.), La Sûreté. Essais sur les 175 ans de la Sûreté de l’Etat, Bruxelles, Politeia, 2005, p. 23-48.
  • « Archieven van de ‘Veiligheid van de Staat’ in depot », dans Cahier du BISC, n°9, p. 203-212.
  • Linotte, Les manifestations et les grèves dans la province de Liège de 1831 à 1914 : inventaire sommaire des archives de la Sûreté publique de la province de Liège, Louvain, Nauwelaerts, 1964.
  • Plisnier, Inventaire des archives du Ministère de la justice, administration de la sûreté publique, police des étrangers, dossiers généraux, deuxième versement (1930-1960), Bruxelles, AGR, 2008.
  • Rousseaux X. et Somer D., « Pour une histoire de la Sûreté de l’Etat en Belgique. Essai autour des 175 années de pénombre », dans Cools M. (e.a.), op.cit., p. 49-74.
  • Vervaeck, Inventaire des archives du Ministère de la justice, administration de la sûreté publique, police des étrangers, dossiers généraux, (Régime français-1914), Bruxelles, AGR, 1968.

 

[1] La Police des étrangers est un service dépendant directement de la Sûreté publique.

[2] Libert R., « De geschiedenis van 175 jaar veiligheid van de staat », dans Cools M. (e.a.), La Sûreté. Essais sur les 175 ans de la Sûreté de l’Etat, Bruxelles, Politeia, 2005, p. 26.

[3] Rousseaux X. et Somer D., « Pour une histoire de la Sûreté de l’Etat en Belgique. Essai autour des 175 années de pénombre », dans Cools M. (e.a.), op.cit., p. 53, 54.

[4] Ibid., p. 54-57 ; Debruyne E., La Maison de verre, agents et réseaux de renseignement en Belgique occupée. 1940-1944, Louvain-La-Neuve, 2005-2006, p.108-109; Van Doorslaer R. (dir.), Debruyne E. (e.a), La Belgique docile : les autorités belges et la persécution des Juifs en Belgique durant la Seconde Guerre mondiale, Bruxelles, Pire, 2007, p. 349.

[5] Libert R., « Archieven van de ‘Veiligheid van de Staat’ in depot », dans Cahier du BISC, n°9, p. 204. Cependant les archives datant du régime français et hollandais ne sont pas nombreuses et il s’agit en majorité de règlements communaux.

[6] Archives générales du Royaume, Les dossiers individuels des étrangers produits par la Sûreté publique (Police des étrangers), 1835-1943, Jalons de recherche n°19.

[7]« Les archives de la Sûreté de l’Etat », dans Sureté de l’Etat, Rapport annuel 2011, Bruxelles, 2012, p. 106.

[8] Debruyne E., op.cit., p.23-25.

[9] Demande écrite par mail via Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

[10] Notons que les archives ne sont plus consultables pour cause de travaux. Une majorité des archives sera transférée aux AGR dans le courant de 2019.

[11] Rousseaux X. et Somer D., op.cit., p. 61-66

[12] AGR, Archives de l’auditorat militaire, Dossier Robert de Foy, n°6392/45.

[13] « Les archives de la Sûreté de l’Etat », dans Sureté de l’Etat, op.cit., p. 106.

[14] S’adresser par mail également à Mr Robin Libert.

[15] « Les archives de la Sûreté de l’Etat », dans op.cit.

 

Page réalisée par Marie Bouvry dans le cadre d’un stage en communication de l’histoire (UCL, 2e master en histoire).

 

Jules De Rode

 

Jean Baptiste Ghislain Jules De Rode, est né à Louvain le 26 mai 1851 et s'éteint le 30 septembre 1920 à Saint-Josse-ten-Noode. Il est le deuxième fils de Laurent De Rode, docteur en médecine, chirurgie et en art de l'accouchement, et de Virginie Pasteyns, mère au foyer.

Jules De Rode entre en Faculté de philosophie et lettres en 1869 à l'Université de Louvain pour suivre des études de droit. Bien qu'ayant suivi un parcours au sein d'une institution catholique, Jules De Rode embrasse la cause libérale en adhérant à l'Association libérale de Louvain. Il se présente en 1879 sur les listes électorales de l'Association libérale de Louvain et est élu en tant que conseiller communal en octobre de la même année. C'est à cette période qu'il rencontre Frédéric Lints (oncle de sa future épouse) alors conseiller puis président de l'Association libérale (réélu à l'unanimité des suffrages en 1885 et en 1889) ainsi qu'Auguste Lints (père de son épouse), qui sera élu échevin en 1882, fonction qu'il occupera jusqu'en 1889 date à laquelle il se retirera de la scène politique. Le 15 mai 1883, il épouse Mathilde Jeanne Marie Lints, sans profession, de sept ans sa cadette, fille de Léonie Marie Thérèse Angélique Sterckx, décédée à Louvain le 6 juin 1879, et Auguste Lints. De leur union naitront deux fils : Fernand, le 9 novembre 1883, et Jules, le 19 octobre 1884.

Devenu docteur en droit, avec distinction, le 17 avril 1873, il plaide, dès le 27 juin, au Tribunal civil de Louvain. Bien qu'aucun carnet militaire n'ait été conservé, Jules De Rode précise qu'il a « satisfait aux lois sur la milice et sur la garde civique ». Parfait bilingue, s'exprimant, selon le Procureur du Roi de l'arrondissement de Louvain, « avec aisance et non sans une certaine élégance », il passe pour être réfléchi et doué d'un bon jugement.

Dans sa progression, Jules De Rode semble bénéficier d'une conjecture politique particulièrement favorable. En effet, il occupe successivement, entre le 27 juin 1881 et le 16 janvier 1882, les postes de juge de paix suppléant du canton de Louvain, secrétaire du conseil de discipline de l'ordre des avocats et, enfin, de substitut du procureur du Roi le 16 janvier 1882, et ce pendant 10 ans, pour être ensuite appelé à d'autres fonctions. Cette avancée fulgurante coïncide avec la politique de nomination du ministre libéral de la Justice Jules Bara (1865-1870 ; 1878-1884). Il faut cependant préciser que cette affirmation est purement hypothétique. En effet, comme nous l'avons constaté au cours de nos recherches, les dossiers de nomination du Ministère de la Justice sont soigneusement épurés de toute recommandation politique et les papiers privés de Jules Bara restent muets quant à une éventuelle sollicitation de Jules De Rode à cet égard.

Ce n'est qu'en 1892, à la suite du départ de M. Beckman promu directeur général de la Troisième direction générale (législation, justice, grâces et patronage) que Jules De Rode est nommé directeur de la Première section de ce département. Cette dernière s’occupe de la section criminelle, ce qui lui vaudra d'être renommée à partir de 1894 « législation criminelle ». Par ses attributions, Jules De Rode semble être un interlocuteur privilégié de la Sûreté. En effet, par l'étendue et la diversité de ses prérogatives, il doit entretenir de nombreux liens avec les autorités étrangères et en particulier celles responsables de la surveillance des étrangers résidant sur leur territoire. De plus, grâce à ses compétences en matière législative il ne semble pas rare qu'il collabore étroitement avec le directeur général de la Sûreté à titre consultatif.

Sous le mandat du ministre de la Justice, Jules Le Jeune, il participe activement à la réorganisation de la Troisième direction générale de l’administration centrale (qui sera répartie en deux nouvelles divisions distinctes : l’une en charge de la législation civile et commerciale, l’autre de la législation pénale et statistique). C’est à la faveur de cette réforme administrative que, par arrêté royal du 30 octobre 1899, il est promu au rang de directeur général de la Troisième direction générale A (en charge de la législation pénale et statistique) du Ministère de la Justice, poste qu’il occupe jusqu’en 1903.

Les causes de son départ pourraient être liées aux élections de juin 1906. A ce moment, le parti socialiste est en proie à une grande agitation. Afin de contrer la mainmise des catholiques, le parti socialiste se lance dans une campagne de diffamation à l'égard du gouvernement catholique. A cette fin, les socialistes font ressurgir un vieux démon de la Sûreté publique : « l'affaire Pourbaix ». Cette affaire leur permet de relativiser les violentes émeutes, qui se multiplient durant le printemps 1906, en accusant le gouvernement d'attiser ces troubles par l'envoi d'agents chargés d'échauffer les esprits, par l'intermédiaire de la Sûreté. Bien que cette rumeur reste infondée il n'est pas impossible qu'elle pousse De Rode à la sortie. Cependant, nous pouvons affirmer, à la suite de la consultation des Annales parlementaires et de la presse, que le directeur général n'est pour rien dans les événements du printemps 1906. En effet, il n'a pas été poursuivi et les accusations portées contre la Sûreté, uniquement par voie de presse, cessent avec les résultats des élections. Enfin, cette date ne marque pas la fin de la carrière professionnelle de De Rode. La conservation de son titre de secrétaire général au Ministère de la Justice, qu'il occupera jusqu'en février 1919, peut être considérée comme une compensation à son départ de la Sûreté publique.

Son frère aîné, Guillaume Marie Ghislain Léon, réalisera, quant à lui, une brillante carrière dans la médecine. Médecin légiste, mais aussi médecin aliéniste, reconnu, des prisons du royaume (participant au 6e Congrès pénitentiaire international), publiant notamment dans le Bulletin de la Société de médecine mentale de Belgique, membre de la Commission médicale de Louvain dès le 17 juin 1870 (à la suite du décès du docteur Vanhal), il est nommé président du Comité de la Croix rouge de Louvain, nouvellement fondé en 1903. Son frère cadet, Laurent Ghislain Marie Léon, deviendra, quant à lui, ingénieur. Bien que de rares collaborations, notamment dans le cadre du Bulletin de la Société de médecine mentale de Belgique, ont eu lieu avec son frère aîné, il semble que Jules De Rode n'a joué aucun rôle dans le parcours et la réussite professionnels de ses frères.

 

Sources: 

  • Mélanie BOST, Traverser l'occupation 1914-1918 : du modus vivendi à la grève, la magistrature belge face aux occupants allemands, Université catholique de Louvain, 2013, (Thèse de doctorat en Histoire).
  • Luc KEUNINGS, "Ordre public et peur du rouge au XIXe siècle. La police, les socialistes et les anarchistes à Bruxelles (1886-1914)", dans Revue Belge d'histoire contemporaine, vol. 25, n° 3-4, 1994-1995, p. 329-396.
  • Luc KEUNINGS, Polices secrètes et secrets de polices à Bruxelles au XIXe siècle, Bruxelles, 2007.
  • Jan MOULAERT, Le mouvement anarchiste en Belgique, 1870-1914, Louvain-la-Neuve, 1996
  • Lode VAN OUTRIVE, Yves CARTUYVELS & Paul PONSAERS, Les polices en Belgique : histoire socio-politique du système policier de 1794 à nos jours, Bruxelles, 1991.

Titouan Boulanger

 

Notice rédigée dans le cadre du Séminaire d'histoire de la période contemporaine de l'Université catholique de Louvain (LHIST2280, professeur Emmanuel Debruyne). 

 

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Adolphe Gauthier de Rasse

 

George Antoine Adolphe Gautier de Rasse, né le 30 décembre 1834 à Arlon et décédé le 8 janvier 1915 à Ellezelles, est un magistrat et administrateur belge de la Sûreté publique. Il est le fils de Georges Adolphe Ferdinand Gautier, ingénieur des mines à la province de Namur, et de Marie Catherine Printz.

Il étudie à la Faculté de droit de l’Université libre de Bruxelles de 1852 à 1857, en même temps que le futur ministre de la Justice Jules Bara. Il y est diplômé docteur en droit avec la plus grande distinction. Après ses études, il intègre le barreau d’Arlon. Il est ensuite nommé substitut du procureur du Roi le 6 janvier 1861 au Tribunal de première instance de Tournai, où il succède à Louis-Frédéric Babut de Marès.

A Tournai, il se marie le 25 août 1863 avec Léopoldine de Rasse, fille d’Alphonse de Rasse, bourgmestre libéral de Tournai. Par arrêté royal du 22 décembre 1885, il obtient l’autorisation d’apposer le nom de famille de sa compagne au sien et de le transmettre à leurs enfants, Georges et Léopold. Le 14 septembre 1867, le ministre de la Justice, Jules Bara, le promeut procureur du Roi à Tournai. Il quitte ce poste le 16 octobre 1879 à la suite de son intronisation en tant qu’administrateur de la Sûreté publique, où il succède à Victor Berden qui devient le bras-droit de Jules Bara.

Sous son mandat, de graves troubles, quasi-révolutionnaires, débutent en 1886 dans le Hainaut (Borinage et région de Charleroi). Il doit alors lutter contre une agitation sociale menée par la figure majeure du Parti Socialiste Révolutionnaire (PSR), Alfred Defuisseaux. Pour se faire, il utilise des agents à la solde de la Sûreté comme Pourbaix (qui a proposé spontanément ses services à la Sûreté publique) ou Jean Laloi, un socialiste déclaré qui présidera le congrès de Châtelet en 1887. Face à ce phénomène, il écrit également l’ouvrage Etude économique sur les coalitions d’ouvriers et sur les grèves (Paris, 1886).

En 1888, une série d’actions insurrectionnelles éclatent à nouveau, dans la lignée des troubles ouvriers qui émaillent le Hainaut depuis 1886. Toute une série de leaders du PSR d’Alfred Defuisseaux sont arrêtés après que les manifestants aient utilisé de la dynamite. L’affaire connait un rebondissement le 26 janvier 1889 : Paul Notelteirs, directeur de la Sûreté publique, révèle que Jean Laloi est en réalité un agent à la solde de la Sûreté. Progressivement, il apparaît que l’administration s’est introduite dans le milieu du PSR via des agents et que ces indicateurs (e.g. Pourbaix, Laloi) s’apparentent plutôt à des agents provocateurs chargés de discréditer les grèves. Ceci implique qu’il n’y a pas de complot contre l’Etat car Auguste Beernaert, figure de proue du gouvernement belge, est au courant de ces agissements.

Le procès s’ouvre le 6 mai 1889 devant la Cour d’assises de Mons. Le 10 mai 1889, Adolphe Gautier de Rasse est appelé à témoigner dans le cadre de l’affaire. Rapidement, cette dernière tourne en faveur des accusés du PSR défendus par des personnalités telles qu’Eugène Robert, Jules Destrée ou Edmond Picard. Ce dernier va jusqu’à déclarer que « le complot n’est que dans l’imagination du Ministère public ». Les accusés sont acquittés le 25 mai 1889. A partir du moment où Auguste Beernaert doit se justifier devant la Chambre des représentants, il renvoie immédiatement Adolphe Gautier de Rasse de son poste d’administrateur. On lui reproche de :

  • Ne pas avoir signalé immédiatement au ministre catholique de la Justice Jules Le Jeune que, lors de leur arrestation, certains leaders du PSR étaient en réalité des agents infiltrés.
  • Avoir sciemment laissé ces indicateurs commettre des actes de provocation.
  • Avoir révélé des informations sensibles à l’ancien ministre Jules Bara siégeant dans l’opposition libérale.

Parallèlement à son poste d’administrateur, Adolphe Gautier de Rasse montre un vif intérêt envers la criminologie. En 1885, il fait partie de la délégation belge au congrès pénitentiaire de Rome avec Adolphe Prins. Il s’inscrit d’ailleurs dans le mouvement de la défense sociale, arguant que la société doit penser à sa défense face aux grèves ouvrières dans le Hainaut.

Sa fin de vie est beaucoup plus discrète. En 1891, il écrit un article de criminologie sur les aliénés criminels dans la revue La Belgique judiciaire. Gazette des tribunaux belges et étrangers. En 1892, alors que son beau-père Alphonse de Rasse vient de décéder, lui et son épouse Léopoldine vendent la maison familiale dans le centre de Tournai. Il finit sa vie à Ellezelles, où il décède le 8 janvier 1915.

 

Sources:

  • « Carte postale de Tournai, s.d. », Archives privées familiales (Rhode-Saint-Genèse).
  • « Notice d’Adolphe Gautier de Rasse dans une chronique familiale des de Rasse, s.d. », Archives privées familiales (Rhode-Saint-Genèse).
  • Alfred Defuisseaux et le Grand Complot, une page de l’histoire du socialisme borain (1889), http://fr.calameo.com/books/00104647922a435564539 (Consulté le 18 novembre 2017).
  • Gautier de Rasse, Georges, Antoine, Adolphe, http://www.arlonide.be/Magistrats/gautier.php (Consulté le 5 décembre 2017).
  • L’écho du Parlement, 19 octobre 1879.
  • Le Bien Public, 19 décembre 1885.
  • Marc REYNEBEAU, Histoire belge : 1830-2005, Bruxelles, 2005, p. 91.
  • Pourbaix Léonard et le Grand Complot, http://www.goens-pourbaix.be/multima-pourbaix/leonart/POURBAIX%20Leonard.htm (Consulté le 18 novembre 2017).
  • Rôle des inscriptions de l’Université libre de Bruxelles pendant la première période trentenaire (1834-1835 – 1863-1864), Archives de l’Université libre de Bruxelles.

 

Quentin Arrigoni

 

Notice rédigée dans le cadre du Séminaire d'histoire de la période contemporaine de l'Université catholique de Louvain (LHIST2280, professeur Emmanuel Debruyne). 

 

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François Charles De Latour

 

François Charles De Latour naît à Gand le 28 avril 1846 et décède à Bruxelles le 17 avril 1903. Il est le troisième et dernier fils de Léopold Charles De Latour, commerçant originaire de Mons et de Joanna Maria Veerdam, rentière originaire de Gand.

Il fait ses études secondaires dans un collège jésuite de Gand et entreprend ensuite, en 1866, des études à la Faculté de droit à l’Université de Gand.

Diplômé en 1870, il exerce le métier d’avocat à Gand jusqu’à son entrée au Ministère de la Justice. Le début de sa carrière est difficile à reconstruire. En 1876 il est renseigné comme faisant partie de la deuxième direction du Ministère de la Justice, c’est-à-dire Prisons et Sûreté publique et, plus particulièrement, de la deuxième section qui ne concerne que la Sûreté publique. Chef de bureau, vraisemblablement depuis 1874, il est promu, en 1881, au poste de chef de division à titre personnel. En 1887, il est promu directeur. Enfin, en 1890, il est nommé à la fonction de directeur général des Prisons et de la Sûreté publique. A partir de 1896, il cumule ses fonctions d’administrateur avec celles de secrétaire général du Ministère de la Justice ; fonctions qu’il occupe jusqu’à son décès en 1903.

François De Latour ne se marie pas et n’a pas d’enfant. Sa seule famille proche se compose de son frère Benoît Joseph De Latour. Celui-ci naît le 25 mars 1844 et décède le 28 octobre 1911. Benoît, lui, se marie et a un fils. Benoît travaille également au Ministère de la Justice, à la direction générale des établissements de bienfaisance (qui devient ensuite la quatrième direction générale Bienfaisance). Il y est sous-chef de bureau jusqu’en 1884. Il est ensuite chef de bureau jusqu’à sa nomination au poste de chef de division, qu’il occupe de 1887 à 1889. Il est nommé au poste de directeur de 1890 à 1895, et enfin de directeur général de 1896 à 1911. Il prend sa retraite au mois d’avril 1911 et reçoit le titre honorifique de ses fonctions.

 

Sources: 

  • Almanach royal officiel publié depuis 1840 en exécution d’un arrêté royal du 14 octobre 1839, années 1876-1886, 1895-1904.
  • Registres de l’état-civil (actes de naissance et de mariage) et registres de la population 1841-1871, Archives de la commune de Gand.
  • Registres d’inscriptions de l’Université de Gand, 1866-1867, 1868-1869, 1869-1870, Archives de l’Université de Gand.
  • Le Vingtième Siècle, 18-21 avril 1903.
  • L’indépendance belge, 1874-1903.
  • Journal de Bruxelles, 27 avril 1911.

Danitza Thiry

 

Notice rédigée dans le cadre du Séminaire d'histoire de la période contemporaine de l'Université catholique de Louvain (LHIST2280, professeur Emmanuel Debruyne). 

 

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Joseph Verheyen

 

Joseph Verheyen

Napoléon Joseph Verheyen, né le 29 décembre 1807 à Anvers et décédé le 14 février 1869 à Bruxelles, est un magistrat, haut fonctionnaire, et administrateur de la Sûreté publique et des prisons de 1852 à 1869. Il est issu de l’union entre Joseph Tobie Verheyen, agent d’assurance bruxellois et Jeanne Marie Genoels, rentière originaire d’Anvers.

En 1825, à l’âge de dix-sept ans, Napoléon Verheyen rentre à l’Université de Gand pour y effectuer des études de droit. Il vient d’obtenir le titre de docteur en droit quand surviennent les évènements révolutionnaires de septembre 1830 qui le confronte, pour la première fois, aux questions de sécurité publique. En effet, la situation dans sa ville natale d’Anvers est instable avec de nombreux incendies lors du mois d’octobre 1830. Dès lors, Napoléon Verheyen participe, à partir du 28 octobre 1830, aux commissions de sûreté publique, destinées à calmer la situation. La tranquillité ramenée dans la ville d’Anvers, les membres de cet organisme de sûreté publique reçoivent les plus élogieux remerciements des autorités constituées. Par la suite et jusqu’en janvier 1833, d’autres commissions sont créées afin de prendre toutes les mesures utiles à la sauvegarde de l’ordre public, elles devaient empêcher les incendies mais aussi surveiller les étrangers dont les agissements apparaissaient dangereux. Napoléon Verheyen, membre des sept comités de sûreté publique et d’incendie à Anvers, rend donc de considérables services à la métropole d’Anvers et à la Belgique. A cette époque, Napoléon Verheyen n’a que vingt-deux ans, mais il est déjà un des agents les plus actifs de ces comités. En effet, le 22 août 1832, Charles Rogier, alors gouverneur d’Anvers, évoque Verheyen comme étant la personne qui a rendu le plus de services à la cause de la révolution de par son talent, son activité, et son énergie. Par son attitude zélée et patriotique, il a le mérite de protéger la bourgeoisie qui était hésitante, plus disposée à s’opposer à son œuvre qu’à l’aider dans ses projets.

Intelligent, jeune, travailleur infatigable, Napoléon Verheyen rentre dans la magistrature à Anvers où les fonctions du parquet offraient à cette période bien des difficultés. Le gouvernement provisoire le nomme substitut du procureur du Roi le 5 novembre 1830. A vingt-neuf ans, il est désigné procureur du Roi près le Tribunal de première instance d’Anvers. Le 9 avril 1842, il continue sa carrière dans la magistrature en tant que procureur du Roi du Tribunal de première instance de Bruxelles.

Le secrétaire général du Ministère de la Justice, M. Putzeys, parle de Verheyen comme étant quelqu’un avec un esprit de modération et d’équité dont les actes étaient empreints de loyauté et de tact. Enfin, par arrêté royal du 8 janvier 1852, il est nommé administrateur de la Sûreté publique et des prisons. A ce poste, il est chargé d’une lourde tâche: rétablir au sein d’une administration négligée, l’ordre et la discipline indispensables à la sécurité nationale. Il dirige ce service, jusqu’à sa mort, pendant plus de dix-sept ans en faisant preuve d’un talent hors pair et d’un tact assez remarquable.

Napoléon Verheyen s’était marié le 29 septembre 1842, à Maransart, avec Adèle Joséphine Brunard. Le couple a principalement vécu au 56, Boulevard de Waterloo à Bruxelles. Ils n’ont pas eu d’enfant. Il est à noter que son épouse vient d’une famille de grands propriétaires fonciers du Brabant wallon. Quelques membres de cette famille libérale sont d’ailleurs des personnages importants de l’époque. Notamment son père, Hubert Frédéric Brunard qui est le bourgmestre de la commune de Maransart. Celui-ci avait fait de Maransart, une des communes les plus modernes pour l’époque, avec notamment de nombreuses routes pavées. En outre, un de ses frères, Charles Dominique Brunard est sénateur. Avec cette union, Napoléon Verheyen intègre donc une famille très aisée.

On peut aussi mentionner que Napoléon Joseph Verheyen est nommé, le 18 janvier 1844, chevalier de l’ordre de Léopold.

 

Sources:

  • E. LALOIRE, « Verheyen (Napoléon Joseph) », dans Biographie nationale, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, t. 26, Bruxelles, 1936-1938, p. 641-644.
  • Luc KEUNINGS, Des polices si tranquilles, Une histoire de l’appareil policier belge au XIXème siècle, Louvain-la-Neuve, 2009.
  • Eric MEUWISSEN, Les grandes fortunes du Brabant, seigneurs de la terre, capitaines d’industrie, 1994.
  • France NEZER, La Sûreté publique belge face aux tsiganes étrangers (1858-1914), Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2011.
  • Almanach Royal officiel de Belgique, Bruxelles, 1845.

Thomas Ruelle

 

Notice rédigée dans le cadre du Séminaire d'histoire de la période contemporaine de l'Université catholique de Louvain (LHIST2280, professeur Emmanuel Debruyne). 

 

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